“Dans certaine tribu indienne, la jeune fille ne peut pas se marier ni concevoir avant d’avoir accompagné un aïeul dans l’agonie puis fait sa toilette funéraire. On pense qu’elle ne peut pas aimer un époux si elle n’a pas aimé son grand-père jusque dans son extrême détresse. On estime qu’elle ne peut pas bien élever un enfant si elle n’a pas su soigner un cadavre. Qui ne sait pleurer sur les morts ne peut se réjouir d’une naissance. Il serait bon qu’une aussi sage disposition trouve sa place dans notre Code civil. Mais nous n’entendons plus être civilisés de cette manière.”
Fabrice Hadjadj, Réussir sa mort, 2005.
« Plus généralement, le mouvement favorable à la libération des mœurs connut en 1974 d’importants succès. Le 20 mars ouvrit à Paris le premier club Vitatop, qui devait jouer un rôle de pionnier dans le domaine de la forme physique et du culte du corps. Le 5 juillet fut adoptée la loi sur la majorité civique à dix-huit ans, le 11 celle sur le divorce par consentement mutuel – l’adultère disparut du Code pénal. Enfin, le 28 novembre, la loi Veil autorisant l’avortement fut adoptée, grâce à l’appui de la gauche, à l’issue d’un débat houleux – qualifié d’«historique» par la plupart des commentateurs. En effet l’anthropologie chrétienne, longtemps majoritaire dans les pays occidentaux, accordait une importance illimitée à toute vie humaine, de la conception à la mort; cette importance est à relier au fait que les chrétiens croyaient à l’existence, à l’intérieur du corps humain, d’une âme – âme dans son principe immortelle, et destinée à être ultérieurement reliée à Dieu. Sous l’impulsion des progrès de la biologie devait peu à peu se développer au XIXe et au XXe siècle une anthropologie matérialiste, radicalement différente dans ses présupposés, et beaucoup plus modeste dans ses recommandations éthiques. D’une part le fœtus, petit amas de cellules en état de différenciation progressive, ne s’y voyait attribuer d’existence individuelle autonome qu’à la condition de réunir un certain consensus social (absence de tare génétique invalidante, accord des parents). D’autre part le vieillard, amas d’organes en état de dislocation continue, ne pouvait réellement faire état de son droit à la survie que sous réserve d’une coordination suffisante de ses fonctions organiques – introduction du concept de dignité humaine. Les problèmes éthiques ainsi posés par les âges extrêmes de la vie (l’avortement; puis, quelques décennies plus tard, l’euthanasie) devaient dès lors constituer des facteurs d’opposition indépassables entre deux visions du monde, deux anthropologies au fond radicalement antagonistes.
L’agnosticisme de principe de la République française devait faciliter le triomphe hypocrite, progressif, et même légèrement sournois, de l’anthropologie matérialiste. Jamais ouvertement évoqués, les problèmes de valeur de la vie humaine n’en continuèrent pas moins à faire leur chemin dans les esprits; on peut sans nul doute affirmer qu’ils contribuèrent pour une part, au cours des ultimes décennies de la civilisation occidentale, à l’établissement d’un climat général dépressif, voire masochiste. »
Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires.
« La sociologie, ça explique un phénomène par des conditions qui lui sont extérieures. Toutes ces conditions sont justes, et aucune n’explique rien. Elles n’existeraient pas, le phénomène aurait quand même lieu. C’est une science dont les preuves prouvent que les preuves ne prouvent rien. Dans une même famille, l’un devient délinquant et l’autre informaticien, parce que tout n’est pas le produit de l’environnement, de l’instinct ni de la fatalité. Il arrive aussi aux hommes de vouloir. Or la sociologie regarde les individus comme des tomates : on les plante, on les arrose, elles attrapent le mildiou et elles pourrissent. On place un individu dans une barre HLM, on lui verse la CAF et il attrape l’envie de taguer « Nike la polisse » dans l’ascenseur. C’est le racisme des antiracistes, pour qui le destin des hommes se réduit à un devenir-tomate, alors qu’il y a dans l’être quelque chose qui contrarie l’environnement, l’instinct et la fatalité, quelque chose qui résiste, et que la sociologie échouera toujours à expliquer. (Écrit en écoutant un sociologue d’État sur la radio culturelle.) » Bruno Lafourcade, Billet FB, 2022/05/15
« D’ici peu, faire des enfants soi-même, gratuitement et au hasard, semblera aussi incongru que de faire de l’auto-stop sans plateforme web.»
Les chimpanzés du futur.
« Le 14 décembre 1967, l’Assemblée nationale adopta en première lecture la loi Neuwirth sur la légalisation de la contraception ; quoique non encore remboursée par la Sécurité sociale, la pilule était désormais en vente libre dans les pharmacies. C’est à partir de ce moment que de larges couches de la population eurent accès à la libération sexuelle, auparavant réservée aux cadres supérieurs, professions libérales et artistes – ainsi qu’à certains patrons de PME. Il est piquant de constater que cette libération sexuelle a parfois été présentée sous la forme d’un rêve communautaire, alors qu’il s’agissait en réalité d’un nouveau palier dans la montée historique de l’individualisme. Comme l’indique le beau mot de » ménage » , le couple et la famille représentaient le dernier îlot de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l’individu du marché. Ce processus de destruction se poursuit de nos jours. »
» Les particules élémentaires » Michel Houellebecq
“Diderot raconte qu’étant allé voir Jean-Jacques Rousseau à Montmorency, ils vont se promener le long de l’étang :
– Voilà, lui dit l’auteur des Confessions, un endroit où j’ai tenté vingt fois de me jeter pour terminer ma vie.
– Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? lui demande Diderot.
Rousseau reste un moment sans répondre et avoue :
– J’ai mis ma main dans l’eau, et je l’ai trouvée trop froide.”
Pierre Ripert, Les Anecdotes de l’Histoire de France.
“Le partisan du suicide est toujours en porte à faux. Il prétend justifier l’acte, mais il fait suffisamment usage de son intelligence pour n’avoir pas envie de passer à cet acte pendant qu’il argumente. Il s’appuie sur l’énergie que lui donne la vie pour mépriser la vie. N’est-ce pas là une inconséquence et une ingratitude ? A supposer qu’il puisse démontrer en théorie que le suicide est bon, il prouverait par sa propre existence que le suicide est mauvais : c’est son existence qui lui permettrait de poser une telle démonstration ; celle-ci ne ferait que saper son propre fondement, elle se réduirait d’elle-même au sophisme. Usant de son souffle pour nier la valeur de ce souffle, employant sa cervelle à montrer qu’il vaut mieux la brûler, il est en pleine contradiction. Ce qui n’est certes pas le cas de l’adversaire du suicide. Il défend la vie avec sa vie. Il ne manque ni de reconnaissance, ni de rigueur.
Cette preuve par l’absurde, toutefois, il faut être suffisamment lucide pour la recevoir. Le malheureux peut avoir sa lucidité à tel point écrasée qu’aucune raison, si forte soit-elle, ne peut plus l’atteindre. Au bord de l’irréparable, il faudra lui faire violence. Il faudra surtout, avant toute preuve et démonstration, lui faire des démonstrations de tendresse et lui donner des preuves d’amour. Quand le cœur est blessé, il faut parler au cœur, avant de parler à l’intelligence. Le partisan du suicide pourra se payer l’illusion de lui causer cœur à cœur en faisant chorus à son dessein mortel. Mais la complicité n’est pas la communion. Mieux vaut la violence de la charité que les caresses du désespoir.”
Fabrice Hadjadj, Réussir sa mort, 2005.
“Un mourant, ça n’existe pas ! Toute personne reste vivante à 100 % jusqu’à sa mort et je n’ai jamais vu un légume dans un lit d’hôpital.”
Dr Wary, l’un des fondateurs de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.
“Si vous êtes malade, ne le soyez pas trop longtemps. Tâchez de ne pas dépasser les 21 jours réglementaires, car, vous ne pouvez pas l’ignorer, la patience des meilleurs amis est assez courte et vous auriez vite l’impression d’être délaissé.”
Sacha Guitry
« On me reproche de mêler boutades, facéties et joyeux propos aux sujets les plus graves. Avec Horace, j’estime qu’on peut dire la vérité en riant. »
( Thomas More – L’utopie)
“J’ai déjà dit quels soins affectueux les Utopiens ont pour les malades ; rien n’est épargné de ce qui peut contribuer à leur guérison, soit en remèdes, soit en aliments. Les malheureux affligés de maux incurables reçoivent toutes les consolations, toutes les assiduités, tous les soulagements moraux et physiques capables de leur rendre la vie supportable. Mais, lorsque à ces maux incurables se joignent d’atroces souffrances, que rien ne peut suspendre ou adoucir, les prêtres et les magistrats se présentent au patient, et lui apportent l’exhortation suprême. Ils lui représentent qu’il est dépouillé des biens et des fonctions de la vie ; qu’il ne fait que survivre à sa propre mort, en demeurant ainsi à charge à soi-même et aux autres. Ils l’engagent à ne pas nourrir plus longtemps le mal qui le dévore, et à mourir avec résolution, puisque l’existence n’est pour lui qu’une affreuse torture. « Ayez bon espoir », lui disent-ils, « brisez les chaînes qui vous étreignent et sortez vous-même du cachot de la vie ; ou du moins consentez à ce que d’autres vous en délivrent. Votre mort n’est pas un refus impie des bienfaits de l’existence, c’est le terme d’un cruel supplice ». Obéir, dans ce cas, à la voix des prêtres interprètes de la divinité, c’est faire une oeuvre religieuse et sainte. Ceux qui se laissent persuader mettent fin à leurs jours par l’abstinence volontaire, ou bien on les endort au moyen d’un narcotique mortel, et ils meurent sans s’en apercevoir. Ceux qui ne veulent pas de la mort n’en sont pas moins l’objet des attentions et des soins les plus délicats ; quand ils cessent de vivre, l’opinion publique honore leur mémoire.”
Thomas More, L’Utopie, 1516.
« Le projet technologique postmoderne est la négation de ce mystère charnel : In vitro veritas contre In utero caritas. Il voudrait troquer la naissance contre la fabrication, le born par le made, et par là offrir une conception et une croissance transparentes, maîtrisées de part en part, adaptées à un monde enfin clos sur ses ambitions. Qui ne voit que, parmi les procédés de production, la grossesse est une forme incontrôlée et dangereuse, ouvrant à toutes les tragédies ? Aussi nos ingénieurs-libérateurs se la représententils comme un bricolage archaïque, une tumeur déformante, un boulet asservissant. Elle est pourtant l’hospitalité première. »
Extrait de la présentation de la pièce Jeanne et les posthumains de Fabrice Hadjadj.
« Autrement dit, l’utérus artificiel au XXIième siècle s’inscrira dans la suite de l’évolution commencé, au XXième vers une séparation toujours plus grande entre sexualité et procréation. Car, comme pour la contraception et l’avortement, il s’agira du droit de toutes les femmes à disposer de leur corps. Il n’y aura pas grand-chose à opposer à ce droit — qui en outre n’empêchera pas la venue au monde d’enfants, par hypothèse, normaux —, comme ce fut le cas du droit à la contraception et à l’IVG. Il est donc vraisemblable et même probable que, conformément à la prédiction de Haldane, bien qu’avec beaucoup de retard, l’ectogenèse se généralise, libérant ainsi les femmes désireuses de procréer, des contraintes de la grossesse. Comme on l’a vu, pendant une période relativement courte, l’utérus artificiel sera justifié par des raisons thérapeutiques telles que le sauvetage d’embryons expulsés de façon non désirée par avortement spontané, ou pour pallier des impossibilités physiologiques, après ablation de l’utérus, par exemple.
Mais, très vite. la gestation extra corporelle deviendra la norme. La gestation intra corporelle restera le résultat de choix idéologiques, ou affectifs, ou esthétiques, de femmes désireuses de faire dans leur corps l’expérience de la grossesse. Toutes proportions gardées, elles seront dans la position des femmes (et des hommes) qui décident, par exemple, de faire leur pain eux-mêmes. Plus parlante est l’histoire de l’allaitement dont la pratique actuelle est plus proche des situations que les perspectives d’ectogenèse permettent d’imaginer. Certaines femmes choisissent d’allaiter leur bébé, alors que l’allaitement artificiel est devenu la norme. Cela fait suite à une longue période où l’appel à une nourrice permettait aux femmes qui le désiraient — et qui en avaient les moyens — de libérer leur corps des contraintes de l’allaitement.
Pourtant, de façon beaucoup plus radicale qu’avec l’allaitement artificiel, le lien initial des enfants avec leur mère, établi depuis la nuit des temps par la grossesse et l’accouchement, sera rompu ».
Henri Atlan, l’Utérus artificiel (2005)
« Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap (…) Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur » Kevin Warwick, cybernéticien, membre de l’association des transhumanistes in Libération.
« Et je n’ai pas cru que tes édits pussent l’emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux, puisque tu n’es qu’un mortel. Ce n’est point d’aujourd’hui, ni d’hier, qu’elles sont immuables ; mais elles sont éternellement puissantes, et nul ne sait depuis combien de temps elles sont nées. Je n’ai pas dû, par crainte des ordres d’un seul homme, mériter d’être châtiée par les dieux. »
Antigone, Sophocle.
« Il est une loi véritable, la droite raison, conforme à la nature, universelle, immuable, éternelle, dont les ordres invitent au devoir, dont les prohibitions éloignent du mal. Soit qu’elle commande, soit qu’elle défende, ses paroles ne sont ni vaines auprès des bons, ni puissantes sur les méchants. Cette loi ne saurait être contredite par une autre, ni rapportée en quelque partie, ni abrogée tout entière. Ni le sénat, ni le peuple ne peuvent nous délier de l’obéissance à cette loi. Elle n’a pas besoin d’un nouvel interprète, ou d’un organe nouveau. Elle ne sera pas autre dans Rome, autre dans Athènes ; elle ne sera pas autre demain qu’aujourd’hui : mais dans toutes les nations et dans tous les temps, cette loi régnera toujours, une, éternelle, impérissable ; et le guide commun, le roi de toutes les créatures, Dieu même donne la naissance, la sanction et la publicité à cette loi, que l’homme ne peut méconnaître, sans se fuir lui-même, sans renier sa nature, et par cela seul, sans subir les plus dures expiations […] »
La République de Cicéron.