« Combien de fois la clarté des étoiles, le bruit des vagues de la mer, le silence de l’heure qui précède l’aube viennent-ils vainement se proposer à l’attention des hommes ? Ne pas accorder d’attention à la beauté du monde est […] un crime d’ingratitude […] puni par le châtiment d’une vie médiocre. » Simone Weil

« La moralité de l’artiste est dans la force et la vérité de sa peinture. En peignant la réalité, en lui infiltrant, en lui insufflant la vie, il a été assez moral : il a été vrai. » Barbey d’Aurevilly.
« L’art devient un instrument de la technique. Toute la beauté de la culture, beauté des temples, des palais & des châteaux, se refugie dans les musées, remplis par des cadavres de la beauté. » « Le Destin de la culture » Berdiaev
« L’art a complètement perdu la tête. Après avoir cherché ses types dans les régions de l’ombre, après avoir oublié que le soleil est sa patrie, après avoir tenté l’apothéose du mal, après avoir célébré de sa voix déshonorée le suicide et l’adultère, après avoir essayé de séparer le vrai du beau, il s’est tourné contre le beau. Après avoir attaqué le vrai, qui est sa racine, il a attaqué le beau. S’étant frappé au cœur, il a voulu s’achever. Ayant persuadé aux hommes que le désordre, c’est-à-dire le faux, constituait la beauté, il s’est écrié, dans la logique de son délire : Le beau c’est le laid !
Il importe de l’étudier, cette logique du délire. Il faut la suivre pas à pas. Si l’homme avait toujours associé dans son esprit le Beau au Bien, le Beau serait resté le Beau, le Bien serait resté le Bien ; l’homme, restant fidèle à l’un, eût senti qu’il restait fidèle à l’autre. Mais l’homme ayant dit, ayant permis aux écrivains de lui dire que les types du Beau devaient se rencontrer là où le bien n’était plus, dans les crimes hardis, dans les scandales éclatants, que le désordre et le génie étaient une seule et même chose, l’homme donc ayant pensé que l’idée du beau et l’idée du bien étaient deux idées contradictoires, a fini par penser que l’idée du beau était contradictoire avec elle-même, et il a fini par dire : Le beau, c’est le laid. Magnifique hommage rendu à l’unité par ceux qui en ont perdu la notion ! Ils nous ont prouvé que l’idée du beau, quand elle n’est plus associée à l’idée de l’ordre, du vrai, du bien, se nie elle-même et ne se reconnaît plus. Ils nous ont prouvé que quand l’homme veut mettre la main sur la beauté, détachée de l’ordre, associée au désordre, la beauté qu’il voudrait saisir, fuit d’une fuite éternelle ; l’objet branle, et le fantôme glacé de la laideur reste dans la main de l’homme trompé.
Le mal et le laid sont si nécessairement identiques, qu’ils se cherchent partout ; ils aspirent à se confondre, et l’homme qui a commencé à croire que le beau c’est le mal, finit par dire : Le beau c’est le laid. La force des choses entraîne sa parole et l’oblige à proclamer, en remplaçant un mot par un autre, une synonymie qu’elle ne soupçonnait pas, une identité qu’elle ignorait. »
Ernest Hello, L’homme. La Vie – La science – L’art

« La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme »
Simone Weil

« Ça n’existe pas, un artiste. Il n’y a que des artisans, qui sont habités par l’obsession de se rapprocher de la perfection. Ils se lèvent avec le matin, ils se couchent avec le soir, jusqu’au jour où ils estiment qu’ils ont atteint un niveau de qualité acceptable pour eux et qu’il ne sert plus à rien de défaire puisqu’ils ne pourront plus faire mieux. Mais après, il y a les génies, dont je ne fais pas partie. » Jacques Brel

« Si votre quotidien est pauvre, ne l’accusez-pas. Accusez-vous sous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses » (RM Rilke, Lettre à un jeune poète)

« Et je fus plein alors de cette Vérité
Que le meilleur trésor que Dieu garde au Génie
Est de connaître à fond la terrestre Beauté
Pour en faire jaillir le Rythme et l’harmonie. »
Quatrain inédit des « Fleurs du mal » de Charles Baudelaire, ajoutée à la main et récemment découvert dans un livre offert par le poète au critique littéraire Gaston de Saint-Valry.
« L’univers artistique est plus ou moins réservé à ceux qui en ont un peu marre ». M. Houellebecq
« La beauté, c’est l’harmonie du hasard et du bien.
Le beau est le nécessaire, qui, tout en demeurant conforme à sa loi propre et à elle seule, obéit au bien.
Objet de la science : le beau (c’est-à-dire l’ordre, la proportion, l’harmonie) en tant que suprasensible et nécessaire.
Objet de l’art : le beau sensible et contingent, perçu à travers le filet du hasard et du mal.
Le beau dans la nature : union de l’impression sensible et du sentiment de la nécessité. Cela doit être ainsi (en premier lieu), et précisément cela est ainsi.
La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme.
Le beau enferme, entre autres unités des contraires, celle de l’instantané et de l’éternel.
Le beau est ce qu’on peut contempler. Une statue, un tableau qu’on peut regarder pendant des heures.
Le beau, c’est quelque chose à quoi on peut faire attention.
Musique grégorienne. Quand on chante les mêmes choses des heures chaque jour et tous les jours, ce qui est même un peu au-dessous de la suprême excellence devient insupportable et s’élimine.
Les Grecs regardaient leurs temples. Nous supportons les statues du Luxembourg parce que nous ne les regardons pas.
Un tableau tel qu’on puisse le mettre dans la cellule d’un condamné à l’isolement perpétuel, sans que ce soit une atrocité, au contraire.
Le théâtre immobile est le seul vraiment beau. Les tragédies de Shakespeare sont de second ordre, sauf Lear [ndvi : reconnaissance d’un autre vieil imbécile, mon alter-ego]. Celles de Racine de troisième ordre, sauf Phèdre. Celles de Corneille de Ne ordre.
Une œuvre d’art a un auteur, et pourtant, quand elle est parfaite, elle a quelque chose d’essentiellement anonyme. Elle imite l’anonymat de l’art divin. Ainsi la beauté du monde prouve un Dieu à la fois personnel et impersonnel, et ni l’un ni l’autre.
Le beau est un attrait charnel qui tient à distance et implique une renonciation. Y compris la renonciation la plus intime, celle de l’imagination. On veut manger tous les autres objets de désir. Le beau est ce qu’on désire sans vouloir le manger. Nous désirons que cela soit.
Rester immobile et s’unir à ce qu’on désire et dont on n’approche pas.
On s’unit à Dieu ainsi : on ne peut pas s’en approcher.
La distance est l’âme du beau.
Le regard et l’attente, c’est l’attitude qui correspond au beau. Tant qu’on peut concevoir, vouloir, souhaiter, le beau n’apparaît pas. C’est pourquoi, dans toute beauté, il y a contradiction, amertume, absence irréductibles.
Poésie : douleur et joie impossibles. Touche poignante, nostalgie. Telle est la poésie provençale et anglaise. Une joie qui, à force d’être pure et sans mélange, fait mal. Une douleur qui, à force d’être pure et sans mélange, apaise.
Beauté : un fruit qu’on regarde sans tendre la main. De même un malheur qu’on regarde sans reculer.
Double mouvement descendant : refaire par amour ce que fait la pesanteur. Le double mouvement descendant n’est-il pas la clef de tout art ?
Le mouvement descendant, miroir de la grâce, est l’essence de toute musique. Le reste sert seulement à l’enchâsser.
La montée des notes est montée purement sensible. La descente est à la fois descente sensible et montée spirituelle. C’est là le paradis que tout être désire : que la pente de la nature fasse monter vers le bien.
En tout ce qui suscite chez nous le sentiment pur et authentique du beau, il y a réellement présence de Dieu. Il y a comme une espèce d’incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est la marque.
Le beau est la preuve expérimentale que l’incarnation est possible.
Dès lors tout art de premier ordre est par essence religieux. (C’est ce qu’on ne sait plus aujourd’hui). Une mélodie grégorienne témoigne autant que la mort d’un martyr.
Si le beau est présence réelle de Dieu dans la matière, si le contact avec le beau est au plein sens du mot un sacrement, comment y a-t-il tant d’esthètes pervers ? Néron. Cela ressemble-t-il à la faim des amateurs de messes noires pour les hosties consacrées ? Ou bien, plus probablement, ces gens ne s’attachent-ils pas au beau authentique, mais à une imitation mauvaise ? Car, comme il y a un art divin, il y a un art démoniaque. C’est celui-là sans doute qu’aimait Néron. Une grande partie de notre art est démoniaque.
Un amateur passionné de musique peut fort bien être un homme pervers — mais je le croirais difficilement de quelqu’un qui a soif de chant grégorien.
Il faut bien que nous ayons commis des crimes qui nous ont rendus maudits, puisque nous avons perdu toute la poésie de l’univers.
L’art n’a pas d’avenir immédiat parce que tout art est collectif et qu’il n’y a plus de vie collective (il n’y a que des collectivités mortes), et aussi à cause de cette rupture du pacte véritable entre le corps et l’âme. L’art grec a coïncidé avec les débuts de la géométrie et avec l’athlétisme, l’art du Moyen Age avec l’artisanat, l’art de la Renaissance avec les débuts de la mécanique, etc. Depuis 1914, il y a une coupure complète. La comédie même est à peu près impossible : il n’y a place que pour la satire (quand a-t-il été plus facile de comprendre Juvénal) ? L’art ne pourra renaître que du sein de la grande anarchie — épique sans doute, parce que le malheur aura simplifié bien des choses… Il est donc bien inutile de ta part d’envier Vinci ou Bach. La grandeur, de nos jours, doit prendre d’autres voies. Elle ne peut d’ailleurs être que solitaire, obscure et sans écho… (or, pas d’art sans écho). »
Simone Weil, in La pesanteur et la grâce
Ce serait une erreur de croire que la sensibilité à la beauté est le privilège d’un petit nombre de gens cultivés. Au contraire, la beauté est la seule valeur universellement reconnue. Dans le peuple, on emploie constamment le terme de beau ou des termes synonymes pour louer non seulement une ville, un pays, une contrée, mais encore les choses les plus imprévues, par exemple une machine. Le mauvais goût général fait que les hommes, cultivés ou non, appliquent souvent très mal ces termes mais c’est une autre question. L’essentiel, c’est que le mot de beauté parle à tous les coeurs.
Simone Weil
Partout où l’ouvrier est tenu en esclavage, chaque partie de l’édifice est absolument semblable à toutes les autres, car la perfection de l’exécution ne peut être atteinte que par la répétition imposée du même travail, à l’exclusion de tout autre. Le degré de dégradation du travailleur se reconnaît donc dès le premier coup d’œil ; Il suffit d’examiner si les diverses parties du monument se ressemblent ou non. Si, comme dans les œuvres grecques, les chapiteaux sont identiques et si toutes les moulures n’offrent aucune variété, c’est que la dégradation est complète ; si, comme dans les œuvres égyptiennes ou assyriennes, bien que la manière d’exécuter certaines figures soit toujours la même, l’ordre du dessin est varié, c’est que la dégradation est moins complète ; et si enfin, comme dans l’œuvre gothique, un changement continuel existe dans le dessin comme dans l’exécution, c’est que l’ouvrier a travaillé en toute liberté. -John Ruskin