vérite philosophie

 » En fait, nous croyons nous intéresser à la culture, mais on ne l’envisage plus que comme un divertissement, que comme quelque chose qui viendrait « en plus », une forme d’agrément. Elle n’est plus jamais considérée comme quelque chose de nécessaire, d’essentiel à notre existence et à notre accomplissement personnel. On pense la culture sur le mode de l’avoir. On évoque à la suite de Bourdieu le « capital culturel » ; on demande à l’école de fournir aux élèves un « bagage culturel ». Ces métaphores sont très explicites : le bagage est quelque chose d’utile, mais d’encombrant, qui gêne la liberté de mouvement. Ces images nous laissent supposer que la culture nous est infligée comme une adjonction à notre personnalité, un bagage dont nous pourrions nous séparer. Au contraire, la culture est le passage nécessaire par où s’accomplit notre personnalité. Elle n’augmente pas ce que nous avons, mais ce que nous sommes. Et, en cela, elle n’est pas accessoire, mais essentielle.  » François-xavier Bellamy.

Le fils de bourgeoisie qui entre en sixième comme il a des bonnes et du même mouvement ne peut pas se représenter ce point de croisement que pouvait être pour moi d’entrer ou de ne pas entrer en sixième ; et ce point d’invention, d’y entrer. J’étais déjà parti, j’avais déjà dérapé sur l’autre voie, j’étais perdu quand M. Naudy, avec cet entêtement de fondateur, avec cette sorte de rude brutalité qui faisaient vraiment de lui un patron et un maître, réussit à me ressaisir et à me renvoyer en sixième. Après mon certificat d’études on m’avait naturellement placé, je veux dire qu’on m’avait mis à l’École primaire supérieure d’Orléans (que d’écoles, mais il faut bien étudier), (qui se nommait alors l’École professionnelle). M. Naudy me rattrapa si je puis dire par la peau du cou et avec une bourse municipale me fit entrer en sixième à Pâques, dans l’excellente sixième de M. Guerrier. « Il faut qu’il fasse du latin », avait-il dit : c’est la même forte parole qui aujourd’hui retentit victorieusement en France de nouveau depuis quelques années. Ce fut pour moi cette entrée dans cette sixième à Pâques, l’étonnement, la nouveauté devant rosa, rosae, l’ouverture de tout un monde, tout autre, de tout un nouveau monde, voilà ce qu’il faudrait dire, mais voilà ce qui m’entraînerait dans des tendresses. Le grammairien qui une fois la première ouvrit la grammaire latine sur la déclinaison de rosa, rosae n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant.

« Je devais retrouver presque tout au long de l’enseignement secondaire cette grande bonté affectueuse et paternelle, cette idée du patron et du maître que nous avions trouvée chez tous nos maîtres de l’enseignement primaire. Guerrier, Simore, Doret en sixième, en cinquième, en quatrième. Et en troisième ce tout à fait excellent homme qui arrivait des Indes occidentales et dont il faudra que je retrouve le nom. Il arrivait proprement des îles. Cette grande bonté, cette grande piété descendante de tuteur et de père, cette sorte d’avertissement constant, cette longue et patiente et douce fidélité paternelle, un des tout à fait plus beaux sentiments de l’homme qu’il y ait dans le monde, je l’avais trouvée tout au long de cette petite école primaire annexée à l’École normale d’instituteurs d’Orléans. Je la retrouvai presque tout au long du lycée d’Orléans. Je la retrouvai à Lakanal, éminemment chez le père Édet, et alors poussée pour ainsi dire en lui à son point de perfection. Je la retrouvai à Sainte-Barbe. Je la retrouvai à Louis-le-Grand, notamment chez Bompard. Je la retrouvai à l’École, notamment chez un homme comme Bédier, et chez un homme comme Georges Lyon. ll fallut que j’en vinsse à la Sorbonne pour connaître, pour découvrir, avec une stupeur d’ingénu de théâtre, ce que c‘est qu’un maître qui en veut à ses élèves, qui sèche d’envie et de jalousie, et du besoin d‘une domination tyrannique ; précisément parce qu’il est leur maître et qu’ils sont ses élèves ; il fallut que j’en vinsse en Sorbonne pour savoir ce que c’est qu’un vieillard aigri (la plus laide chose qu’il y ait au monde), un maître maigre et aigre et malheureux, un visage flétri, fané, non pas seulement ridé ; des yeux fuyants ; une bouche mauvaise ; des lèvres de distributeurs automatiques ; et ces malheureux qui en veulent à leurs élèves de tout, d’être jeunes, d’être nouveaux, d’être frais, d’être candides, d’être débutants, de ne pas être pliés comme eux ; et surtout du plus grand des crimes : précisément d’être leurs élèves. Cet affreux sentiment de vieille femme. »

« Le fils de bourgeoisie qui entre en sixième comme il a des bonnes », in Charles Peguy, L’Argent, p. 424.



« Enseigner, ce n’est point débiter un cours devant un public, contrairement à ce que certains se plaisent à caricaturer en parlant à tort de « cours magistral » pour le flétrir alors qu’il n’est jamais magistral en cela. Enseigner, c’est parler à des élèves dont les résistances constituent la matière première de la pédagogie. C’est être attentif à leur visage, à ce qu’ils font pendant qu’on leur parle et à ce qu’ils disent quand on leur donne la parole. C’est se heurter parfois à la réticence des uns, s’appuyer aussi sur la bienveillance des autres, et mettre en commun ces choses pour faire d’une collection d’individus aux intérêts divergents un nouvel individu dont l’intérêt est d’apprendre et de comprendre. C’est construire, enfin, avec tous quelque chose d’unique qui ne pourra jamais être reproduit tel quel avec une autre classe. Telle est du moins la condition d’un enseignement vivant qui fait que la pédagogie est un art et que le cours du professeur est une œuvre à proprement parler. Une œuvre, non son œuvre, car l’enseignement, comme le dit pour le coup magistralement Aristote, est « l’œuvre commune du maître et de l’élève ». René Chiche, « La désinstruction nationale ».

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« Instituer l’être humain, c’est au sens premier du mot, le mettre sur pied, le faire tenir débout, en l’inscrivant dans une communauté de sens qui le lie à ses semblables; c’est lui permettre d’occuper sa place dans le genre humain. Telle était la tâche de l’instituteur dans l’ordre républicain: rendre les enfants capables d’agir et d’apprendre par eux-mêmes en leur inculquant les disciplines requises par cet ordre. Changement terminologique très révélateur: les instituteurs eux-mêmes ont demandé à être débarrassés de ce titre devenu incompréhensible pour se fondre dans le monde de professeurs (étymologiquement : de ceux qui mettent leurs science en avant) et l’ont obtenu ». Alain Supiot, « Homo jiridicus ».

« Le pédagogisme a une haine de la culture classique qu’il daigne tout juste étudier pour s’informer et se documenter et certainement pas pour se former l’esprit par la lecture. Si l’école républicaine avait pour mission de transmettre le savoir et les vertus, les IUFM, crées par Lionel Jospin, ont au contraire pour but de détruire le savoir et la morale ». Jean-Claude Michéa, « L’enseignement de l’ignorance ».

« Nous sommes dans un procès de mots, dans un total malentendu de syntaxe.- Le Président, s’adressant à l’accusé : Êtes-vous allé au pont (il s’agit du pont de chemin de fer)- L’accusé : Allée ? Il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été.Pour lui qui n’emploie jamais le verbe aller pour dire : aller au pont, aller à la vigne, aller à la ville, il croit qu’il s’agit de substantifs : une allée d’arbres, une allée de vignes ; et il répond : il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été.Or, comme il est surpris par la phrase du Président (combien anodine cependant), qu’il y a un mot qu’il ne comprend pas tout de suite, il hésite avant de répondre, il se trouble. On interprète ce trouble ».Terrible constat, et terrible conséquence. « 
Notes de Jean Giono sur l’affaire Dominici

« L’éducation de masse, qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classe privilégiées, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes. La société moderne, qui a réussi à créer un niveau sans précédent d’éducation formelle, a également produit de nouvelles formes d’ignorance. Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler les faits fondamentaux de l’histoire de leur pays, de faire des déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires ». Christopher Lasch, La Culture du Narcissisme.

« La France était encore il y a peu une terre de lettres et de culture, patrie des Lumières et résidence principale des philosophes. Puis vinrent la psychologie à deux sous et la sociologie des épluchures. Ces deux rejetons de l’idiotie et du ressentiment infestèrent d’abord l’université avant de se répandre dans l’école tout entière, pour y interdire l’esprit. Eh bien c’est chose faite, on ne sait plus penser dans ce pays, ni admirer. L’on se borne à vilipender le complotisme et le populisme en faisant soi-même preuve du plus affligeant conformisme ». René Chiche

coronavirus

« Essayer de remédier aux fautes par l’attention et non la volonté »
Simone Weil, La Pesanteur et la grâce.

Un principe de pédagogie que devraient surtout avoir devant les yeux les
hommes qui font des plans d’éducation, c’est qu’on ne doit pas élever les
enfants d’après l’état présent de l’espèce humaine, mais d’après un état
meilleur, possible dans l’avenir, c’est-à-dire d’après l’idée de l’humanité et de
son entière destination. Ce principe est d’une grande importance. Les parents
n’élèvent ordinairement leurs enfants qu’en vue du monde actuel, si corrompu
qu’il soit. Ils devraient au contraire leur donner une éducation meilleure, afin
qu’un meilleur état en pût sortir dans l’avenir. Mais deux obstacles se
rencontrent ici : premièrement, les parents n’ont ordinairement souci que
d’une chose, c’est que leurs enfants fassent bien leur chemin dans le monde,
et deuxièmement, les princes ne considèrent leurs sujets que comme des
instruments pour leurs desseins.
Kant, Traité de pédagogie (1803)

– Vous qui êtes au sommet de l’enseignement, pouvez-vous nous dire ce qu’est une bonne éducation ?
– J’en distingue au moins deux formes. Celle que dispense la famille, et celle qu’on est en droit d’attendre de l’école. La première est assurément la plus déterminante : elle donne à l’enfant ses points de repère les plus durables. C’est très grave s’ils sont néfastes. Mais c’est aussi très grave si le moule prend trop bien. En revanche, c’est excellent si l’intimité de la famille donne à l’enfant une idée qu’il interprètera à sa façon d’une vie affective adulte réussie, et d’une sociabilité bienveillante avec les autres.
– Et pour ce qui est de l’éducation scolaire ?
– Revenons à l’étymon : en grec, «scholé», signifie le temps libre. Autrement en dit en Grèce, et quelques fois depuis, l’école a été conçu comme le lieu où l’on apprend comment donner un sens fécond à ses loisirs. Une bonne éducation scolaire revient à apprendre comment faire de son temps libre un temps de bonheur, plus tard, quand on est engagé dans la vie active. L’école apprend en somme comment gérer de manière fertile les heures où l’on ne travaille pas et où l’on peut, en conséquence, donner libre cours aux occupations de l’âme, qu’il s’agisse de la lecture, de l’amour ou de la découverte du monde.
– Pour autant, certains voudraient que l’école prépare essentiellement à la vie active, voire exclusivement à celle de l’entreprise !
– On a tort d’en faire la finalité exclusive de l’école. Actuellement, le marché des professions est en perpétuelle évolution. Une bonne culture générale peut aussi servir à s’adapter sur le tas à des métiers inattendus. C’est pourquoi, il me semble, à contre courant des idées reçues, mais aussi conformément à l’ancienne tradition française et européenne qu’il vaut mieux consacrer l’enseignement primaire et secondaire à une solide culture générale. C’est à cet âge que l’on s’imprègne le mieux. En venir à la culture générale à 20 ans comme c’est le cas aux Etats-Unis me paraît contre nature.
– On a toutefois le sentiment que l’école a perdu sa vocation de guide devant la télévision et la crise que traverse notre société…
– Nous n’avons plus cette formule élaborée par la Troisième république, et que Butor a décrite pour la dernière fois dans son roman «Degrès» ; Giraudoux en avait donné une image encore meilleure dans son «Simon le Magnifique». Le drame aujourd’hui est idéologique. On veut «démocratiser», c’est à dire «uniformiser» l’éducation, et le résultat c’est qu’on l’aplatit ; elle finirait par se confondre avec la «communication commerciale».
– Quelles solutions préconisez-vous ?
– L’éducation formelle a longtemps été réservée à une minorité. Celle d’aujourd’hui se doit de prendre l’ensemble des nouvelles générations. Ce qui valait pour 8000 élèves a-t-il encore un sens seulement pour 800.000 ? Si l’entrée de la démocratie dans le système éducatif a pu jusqu’ici apparaître comme un principe destructeur du système qui avait fait ses preuves, on peut se demander si ce défi ne peut pas maintenant être relevé autrement, sans fanatisme idéologique.
– Que voulez-vous dire ?
– La société contemporaine, c’est clair, a autant besoin d’ingénieurs, de techniciens, de chimistes que d’avocats ou de hauts fonctionnaires. Elle a besoin de compétences et de talents. Je plaide pour deux principes simples. L’un, c’est de ne pas rater l’âge des spécialisations et d’insister sur une culture générale dispensée très tôt et progressivement, contre l’aplatissement médiatique. L’autre, c’est de concevoir des formules d’enseignements très diversifiés : la variété ne nuit pas à l’égalité mais elle la nuance.
– Que diriez-vous au ministre de l’Éducation nationale ?
– Je ne suis en rien conseiller du prince. Il aime à se réclamer de Jules Ferry. Pour ma part, j’aime à rappeler que Jules Ferry, avant de reconstruire de haut en bas l’université républicaine, avait fait procéder à une très vaste enquête historique et internationale sur les différents systèmes d’éducation et sur leurs méthodes, dans le passé et dans les principaux pays d’Europe. Ce grand réformateur ne naviguait pas à vue. Je souhaiterais qu’aujourd’hui, on fasse preuve en haut lieu d’autant de recul et de prudence, notamment pour tout ce qui touche à l’enseignement primaire et secondaire. Quelle culture générale enseigner à des enfants et des adolescents qui les libère, qui ne fasse pas d’eux des «jeunes» au sens que ce mot à pris : une catégorie sans défense de consommateurs de gadgets ?

Entretien avec Marc Fumaroli ( Stephane Barsacq) Figaro.

« Tous les monopoles sont détestables, mais le pire de tous, c’est le monopole de l’enseignement.  » Frédéric Bastiat 1801-1850

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