
« Autrement dit, l’utérus artificiel au XXIième siècle s’inscrira dans la suite de l’évolution commencé, au XXième vers une séparation toujours plus grande entre sexualité et procréation. Car, comme pour la contraception et l’avortement, il s’agira du droit de toutes les femmes à disposer de leur corps. Il n’y aura pas grand-chose à opposer à ce droit — qui en outre n’empêchera pas la venue au monde d’enfants, par hypothèse, normaux —, comme ce fut le cas du droit à la contraception et à l’IVG. Il est donc vraisemblable et même probable que, conformément à la prédiction de Haldane, bien qu’avec beaucoup de retard, l’ectogenèse se généralise, libérant ainsi les femmes désireuses de procréer, des contraintes de la grossesse. Comme on l’a vu, pendant une période relativement courte, l’utérus artificiel sera justifié par des raisons thérapeutiques telles que le sauvetage d’embryons expulsés de façon non désirée par avortement spontané, ou pour pallier des impossibilités physiologiques, après ablation de l’utérus, par exemple.
Mais, très vite. la gestation extra corporelle deviendra la norme. La gestation intra corporelle restera le résultat de choix idéologiques, ou affectifs, ou esthétiques, de femmes désireuses de faire dans leur corps l’expérience de la grossesse. Toutes proportions gardées, elles seront dans la position des femmes (et des hommes) qui décident, par exemple, de faire leur pain eux-mêmes. Plus parlante est l’histoire de l’allaitement dont la pratique actuelle est plus proche des situations que les perspectives d’ectogenèse permettent d’imaginer. Certaines femmes choisissent d’allaiter leur bébé, alors que l’allaitement artificiel est devenu la norme. Cela fait suite à une longue période où l’appel à une nourrice permettait aux femmes qui le désiraient — et qui en avaient les moyens — de libérer leur corps des contraintes de l’allaitement.
Pourtant, de façon beaucoup plus radicale qu’avec l’allaitement artificiel, le lien initial des enfants avec leur mère, établi depuis la nuit des temps par la grossesse et l’accouchement, sera rompu ».
Henri Atlan, l’Utérus artificiel (2005)